Aimer et être aimé à l'école , Chahina BARET

Une acculturation en douceur

AUTEURE


Chahina BARET

NUMÉRO


2023

D’origine indo musulmane de La Réunion, je suis arrivée à quinze ans à Paris, en pensionnat chez les sœurs de la société des Filles du Cœur de Marie. Je ne connaissais personne et mon horizon culturel de la France était très réduit.

En effet, apprendre l’Histoire et la géographie de la France à 13 000 km de la métropole n’aide pas, même quand on apprend que « nos ancêtres sont les Gaulois » ! Je ne connaissais pas non plus les codes sociaux et culturels implicites de la vie en société.

Ces années ont été salutaires, et je pèse mes mots, pour ma croissance et mon devenir comme femme aujourd’hui. En effet, l’intégration n’est pas de la seule responsabilité de celui qui arrive, c’est aussi la sollicitude, l’empathie et le soutien des personnes du pays d’accueil qui seront déterminants.

Ma vie de lycéenne commençait dans une certaine appréhension et dans l’angoisse de l’inconnu et de la solitude. Je me sentais à l’étroit à l’internat. Mon horizon était plutôt fermé.

La première semaine de cours, des jeunes viennent présenter l’aumônerie Saint-Sulpice-Sainte-Geneviève et ses activités. Je décide avec beaucoup de courage de m’y rendre. J’ai besoin de sortir du cadre du pensionnat et du lycée. Je ne cacherai pas que cela me permettait enfin de fumer librement et de rencontrer des garçons. Je découvris un lieu étonnant, où l’on venait et d’où l’on partait sans avoir à se justifier. On ne nous demandait pas de comptes, on pouvait s’inscrire à une activité sans aucune forme d’engagement pour la suite. J’ai ainsi rencontré des sœurs, des laïcs, un couple, un prêtre et des jeunes à l’aumônerie. Ils m’ont accueillie sans chercher à me réduire, ni à m’enfermer dans une image ou une étiquette ou à m’absorber et m’assimiler. Ils m’ont acceptée comme j’étais, ils ne cherchaient pas à me convertir, à comparer ma foi à la leur, à me faire entrer dans leurs projets ou désirs.


 Tu vaux plus que ça !


Au contraire, ils étaient curieux de ma culture, de ma foi et ils se laissaient émerveiller par mon histoire : ils m’ont aidée avec beaucoup de tact à entrer dans les codes de comportement et de culture de la France métropolitaine.

Je relève ici une première condition de cette intégration en douceur : celui du regard aimant que l’on peut porter sur l’autre, élève ou camarade : accepter que l’autre soit autre et le laisser ad-venir ou encore comme le dit si bien Pestalozzi, « le laisser faire œuvre de lui-même. »

Les amis rencontrés, leurs familles, m’ont aidé à entrer, avec beaucoup de délicatesse et à petits pas dans un certain nombre de codes : ne pas trop vite se livrer, ne pas trop toucher les gens et donc préserver un espace suffisant entre eux et moi, ne pas montrer sa fragilité, ses faiblesses… Combien de regards étonnés ou suspicieux ai-je essuyés, parce que je souriais aux gens dans le métro et que je pouvais me mettre à réagir à haute voix à une situation ?

Ne pas trop vite réagir, en anticipant les besoins, ou encore en entrant trop vite dans l’intimité des personnes. C’est un dur apprentissage, que je n’ai toujours pas achevé…

D’où une deuxième condition : se sentir en sécurité et suffisamment en confiance pour comprendre que les différences de comportement sont juste une différence culturelle et non un manque de respect, d’éducation ou de civisme.

J’ai été initiée à la culture française par une professeure de français en Première, qui m’a fait aimer la littérature. Avec elle et un couple de l’aumônerie, j’ai appris à lire un tableau, à écouter ce qu’il avait à me dire, à visiter une exposition au musée. J’ai goûté au plaisir des textes du théâtre classique, de l’opéra en plein air à Sarlat, lors de mes vacances dans leur maison de famille.

J’ai goûté la cuisine française traditionnelle, et le fromage lors des repas de famille de tel ou tel ami de l’aumônerie, cessant de mettre du piment partout pour profiter pleinement des saveurs de chaque plat…

J’étais invitée à des rallyes, auxquels il n’est pas très simple d’accéder si l’on ne montre pas « patte blanche » (au sens littéral). Je ne m’y suis pas sentie à ma place mais j’y ai découvert le plaisir de danser le rock et le madison…

Avec ces pairs, avec leurs familles, mon acculturation s’est faite en douceur, j’ai pris confiance en moi. Leur regard, leur attitude me rendait fière de mes origines, de ma culture indo-musulmane. Je me construisais, ouverte sur l’inconnue de mon avenir mais en confortant, formulant, prenant conscience de mes racines, de mes sources. J’ai retrouvé ce que je ressentais dans ces mots d’Etty Hillesum : « L’essentiel est d’être à l’écoute de ce qui monte de soi. Nos actes ne sont souvent qu’imitation, devoir supposé ou représentation erronée de ce que doit être un être humain. Or la seule vraie certitude touchant notre vie et nos actes ne peut venir que des sources qui jaillissent au fond de nous-mêmes[1]. »

C’est une troisième condition : Cela exige du tact et de la chasteté pour permettre à toute personne de s’acculturer sans avoir le sentiment d’être absorbée et en rejetant, niant ces appartenances, ces origines sociales, culturelle ou religieuse c’est-à-dire sans se renier, et sans vivre dans un conflit de loyauté intérieur trop important.

Je n’étais pourtant pas facile au lycée. Je continuais à être rebelle comme au collège, à refuser l’incohérence des professeurs quand ils n’agissaient pas en conformité avec ce qu’ils nous enseignaient ! Alors je les provoquais jusque dans leurs limites : Mlle Mariguet, la directrice, m’a sauvée ! Je me suis maintes et maintes fois retrouvée dans son bureau! Elle ne m’a pas lâchée : « Tu vaux plus que ça, Chahina ! Arrête de ne montrer que ta vilaine partie ! »

Enfin, une dernière condition : Croire qu’une personne n’est pas réduite à ce qu’elle montre d’elle-même à un moment donné, qu’elle est plus que ce qu’elle donne à voir aujourd’hui et ne pas désespérer de son avenir et de ses possibilités. Rencontrer des adultes fiables, sur qui on peut compter qui tiennent malgré les provocations, les refus, le rejet. Adultes qui deviennent des rocs sur lesquels on peut s’appuyer. Adultes, de qui on peut dire qu’on peut compter sur eux quoiqu’il arrive, qu’ils ne nous lâcheront pas.

Les adultes à l’aumônerie étaient de vrais éducateurs. Ils nous accompagnaient, tantôt de loin, tantôt de très près selon les moments ; ils savaient nous laisser tâtonner et expérimenter, nous laisser faire en s’effaçant à chaque fois que nous n’avions plus besoin d’eux. Nous expérimentions une vie communautaire investie avec beaucoup de créativité et de respect de la diversité qui était la nôtre : des croyants, plus ou moins pratiquants, de traditions et de sensibilités différentes, des jeunes de passage, des leaders, des suiveurs, des humanistes qui cherchaient du sens, du lien, tous prenaient une place sans aucun besoin de se définir, de donner des garanties.

Par l’internat, le lycée, l’aumônerie, j’ai trouvé une nouvelle « tribu », une famille qui fait partie de ma vie encore aujourd’hui. J’ai trouvé là mon lieu d’intégration. Avec eux, je peux dire que je me suis sentie aimée car reconnue. Par eux et avec eux, je pouvais planter en pleine conscience mes racines nouvelles. « Française de nouvelle souche », comme disent les Canadiens.


[1] Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Paris, Seuil, 1995.

Édito « Quelle liberté à l’école ? »

« Quelques semaines après avoir été nommé pour la première fois chef d’établissement, je rejoins les élèves de Terminale de mon lycée à la campagne, pour la conclusion de deux journées de récollection qu’ils viennent de vivre. J’entre dans la salle où ils sont rassemblés. Ils sont debout. Ils discutent, ils rient. [...] »

Entretien avec Rémi Brague

« Que tout homme, indépendamment de son sexe, de son statut social (libre ou esclave), de son appartenance au peuple élu ou non (Juif ou « grec »), ait reçu de son rachat par le sacrifice du Christ une dignité qu’il ne peut plus perdre, c’est ce que dit saint Paul (Galates, 3, 28). [...] »

Le bol de riz est-il obligatoire ?

« Déléguée de tutelle des sœurs du Saint Sacrement, j’apprends au détour d’une conversation dans un établissement du second degré que le bol de riz sera obligatoire pour tous ceux qui mangeraient ce jour-là à la cantine. Les autres seraient donc tenus de manger à l’extérieur. [...] »