Aimer et être aimé à l'école , Anne-Laure GEORGY ROBERT

Créer du beau

NUMÉRO


2023

La pédagogie, c’est une aventure, et c’est aussi de l’expérience, vivre une expérience avec son professeur, une expérience qui va ouvrir les yeux des élèves sur un aspect de la matière jamais envisagé jusqu’alors. Décaper, dépoussiérer, frotter un peu, faire briller… Finalement, c’est un peu comme le ménage ! Sauf que ça ne se fait pas avec des produits d’entretien mais grâce à nous autres, adultes enseignant, qui faisons alors figures de guides, de personnalités, d’identités cherchant à réveiller et révéler, faire apparaître des talents enfouis ou affleurant – des talents d’élèves apprenants qui ne demandent qu’à s’exprimer.

S’il y a bien une chose que j’adore dans mon métier de professeur, c’est bien celle-ci : les relations humaines que l’on peut croiser, décroiser, recroiser à l’envie. Le texte, c’est du tissu. Et l’on tisse des mots, certes, mais l’on tisse également – et avant tout – des liens humains.

Il y a deux ans, j’étais presque arrivée à Noël et pas un seul projet n’avait encore germé dans ma tête pour sortir ma classe de quatrièmes de l’ordinaire de son train-train quotidien. Tout est arrivé très vite. L’idée d’un recueil de nouvelles fantastiques, l’enthousiasme de la documentaliste de mon collège à qui j’en ai parlé, le feu vert du service compta et de la direction, le soutien de mon ami Gonzague, travaillant aux Éditions de l’Emmanuel… Et nous voilà embarqués.

Ce projet était, de loin, le plus passionnant que j’aie vécu avec des élèves. Si passionnant que je m’en vais réitérer cette année, avec quelques modifications. Passionnant à plus d’un titre.

D’une part, ce projet nous a fait avancer sur des compétences essentielles en français : l’orthographe, la syntaxe, le niveau de langue. Cette fameuse écriture pour laquelle nous ne faisons pas assez de jogging quotidien. Nous en étions à la fin de la seconde séquence, qui portait sur les nouvelles fantastiques, et nous avions étudié « Le Veston ensorcelé » de Dino Buzzati, extraite du K. Dans cette nouvelle, un homme se retrouve en possession d’un veston qui lui procure mystérieusement de l’argent. Peu à peu il découvre que plus il s’enrichit, plus les malheurs s’abattent autour de lui. Il comprend alors qu’il a passé malgré lui un pacte avec le diable et cherche à se débarrasser de cet habit maudit. Les contraintes d’écriture étaient les suivantes : « Un objet surgit de votre quotidien pour vous procurer de l’argent. Vous découvrez qu’il s’agit d’un pacte avec le diable. Vous commencerez votre nouvelle par : C’était un lundi matin. Comme d’habitude, je me dirigeais vers le collège. Et vous la terminerez soit par : Et tandis que j’écris cette histoire, je sens la vie me quitter à grands pas, soit par : À l’heure où je vous parle, je me suis enfin débarrassée de l’objet maudit, mais qui sait si je l’avais vraiment détruit ? Reviendrait-il me hanter un jour ? »

Les élèves, après avoir commencé leur récit de façon manuscrite, ont dû le taper à l’ordinateur et me l’envoyer par mail. Nous avons ensuite projeté des extraits de nouvelles à l’écran et, tous ensemble, nous avons cherché à améliorer les textes. L’étape du brouillon, celle de la conception de la nouvelle (en suivant le schéma narratif, avec la situation initiale, l’élément perturbateur, les péripéties, l’élément de résolution et la chute), l’étape de la rédaction, puis celle de la relecture se sont succédé, avec bien plus de poids que pour une simple rédaction d’une heure, ponctuelle. Là, c’est une rédaction qui a duré six mois, en fait ! Je relisais tous les quinze ou vingt jours, dans un échange continu avec les élèves. Régulièrement on faisait un point en classe, de cinq minutes, pour parler des prochaines étapes, des difficultés rencontrées par les uns ou par les autres.Et c’est pour ça que ce travail a été si efficace ! Il faut dire qu’aujourd’hui, on a du mal à mener des projets dans le temps. C’est tout, tout de suite, très rapidement, et on passe à la suite. On a séquencé le temps, et avec les séquences, on perd parfois une certaine continuité.


Ce projet, parce qu’il a donné lieu à une réalisation collective et commune, qui a passé par la coopération, a permis aux élèves d’améliorer leur estime d’eux-mêmes


Ce travail de rédaction, si difficile à travailler d’ordinaire, est devenu d’un coup très concret. C’est bien connu, les élèves adorent jouer aux professeurs ! On a appris à taper un texte à l’ordinateur, à faire des alinéas (car c’est ainsi que commencent les paragraphes), à justifier son texte, à éviter les répétitions, à améliorer son texte comme celui du voisin, à travailler sur la cohérence du récit, à vérifier les temps, etc. En définitive, nous avons mis en pratique l’Art poétique de Boileau ! « Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : / Polissez-le sans cesse et le repolissez ; / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. » Là, mes élèves ont bien compris la nécessité de se relire, ils ont bien intégré ce travail et ils ont vraiment réussi à le faire car ils étaient forcés de prendre ce temps qui leur était imposé.

D’autre part, ce projet nous a portés de façon humaine, par le témoignage qu’il a rendu possible.

Pour commencer, il a mis en lumière un métier littéraire, un de ces métiers que l’on peut faire quand on a bien travaillé en cours de français : celui d’éditeur. Autour de l’éditeur, ce projet englobait également d’autres métiers : graphiste, maquettiste, imprimeur… Autant de métiers que les élèves ne connaissaient pas mais avec lesquels ils se sont familiarisés de façon très concrète.

Ensuite, ce projet, parce qu’il a fait intervenir cet ami éditeur, avec son parcours personnel et professionnel, avec sa personnalité passionnée et son professionnalisme entraînant, a beaucoup apporté à mes élèves. Nous avons trouvé une date pour organiser une rencontre au CDI. Gonzague a d’abord présenté son métier avec un PowerPoint très vivant, où il expliquait les étapes de fabrication d’un livre, les différentes polices et leurs origines, puis il a répondu aux questions. Celles-ci ont vite porté sur l’argent, sans surprise : « Et combien vous gagnez ? » C’est là que j’étais contente d’avoir Gonzague en face. En effet, il a commencé par gagner beaucoup, puisqu’il était dans le milieu de la finance à New York. Ensuite, il est rentré au séminaire (là il ne gagnait plus un sou, logique). Puis il en est sorti avec l’intime conviction qu’il serait heureux dans le milieu de l’édition. Grâce à son réseau, il a pu faire ses preuves et rentrer aux Editions de l’Emmanuel. Clairement, jamais il n’atteindra le niveau de rémunération qu’il avait à New York en début de carrière. Pourtant, pour rien au monde il ne reviendrait en arrière. Et ce témoignage m’a fait du bien. Ce témoignage, en fait, c’est un témoignage essentiel. Les élèves — tout autant ceux de milieux défavorisés que ceux de milieux favorisés d’ailleurs — ont besoin de sentir que le moteur de l’humanité, le sel de la vie, ce n’est pas l’argent. Trop souvent ils le croient. Il faut les détromper.

Enfin, ce projet, parce qu’il a donné lieu à une réalisation collective et commune, qui a passé par la coopération, a permis aux élèves d’améliorer leur estime d’eux-mêmes. Ce projet a porté mes élèves de façon humaine car il les a fait mûrir, grandir dans leur confiance en eux. Ils ont imprimé un livre, un vrai. La réalisation finale était magnifique. Et de créer du beau, cela élève, cela édifie. C’est un acte démiurgique qui valorise immensément. N’importe qui se sent rasséréné après avoir accompli quelque chose de beau. Les frontières tombent, les murs s’effondrent, les obstacles s’évanouissent pour quelqu’un qui a créé du beau. C’est ce sentiment qu’il faut susciter chez nos élèves. Celui du beau.

Édito « Quelle liberté à l’école ? »

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Entretien avec Rémi Brague

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« Que tout homme, indépendamment de son sexe, de son statut social (libre ou esclave), de son appartenance au peuple élu ou non (Juif ou « grec »), ait reçu de son rachat par le sacrifice du Christ une dignité qu’il ne peut plus perdre, c’est ce que dit saint Paul (Galates, 3, 28). [...] »

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« Déléguée de tutelle des sœurs du Saint Sacrement, j’apprends au détour d’une conversation dans un établissement du second degré que le bol de riz sera obligatoire pour tous ceux qui mangeraient ce jour-là à la cantine. Les autres seraient donc tenus de manger à l’extérieur. [...] »