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Savoir et apprendre

Je fais l’hypothèse, comme la plupart des psychologues et des spécialistes de l’apprentissage, que tout enfant a spontanément le désir de savoir. Il cherche à percer le mystère de ses origines, il veut savoir qui sont ses parents et pourquoi ils le grondent… Il veut savoir comment être aimé, comment obtenir satisfaction… Il veut savoir « comment ça marche », comment fonctionnent les objets qu’il a sous la main, comment interagissent les êtres qui l’entourent et évidemment il veut savoir qui il est.

Mais vouloir savoir ne signifie pas vouloir apprendre. D’ailleurs, quand on observe un enfant qui veut faire marcher un appareil et qu’on lui demande d’interrompre son tâtonnement fébrile pour écouter une explication précise, il manifeste de l’agacement, reprend l’objet et nous signifie qu’on lui fait perdre du temps. Apprendre, c’est en effet accepter de perdre de vue, au moins un moment, la satisfaction immédiate de son désir de savoir. Apprendre, c’est, souvent, gâcher du matériel ; c’est, toujours, surseoir à la volonté de réussir dans l’instant… Et cette rupture entre savoir et apprendre est exacerbée par les progrès techniques : ces derniers, en effet, permettent, de plus en plus systématiquement, de savoir sans apprendre. Les élèves, nos enfants, le savent et sont pris dans cette aspiration à un « savoir sans apprentissage » ou avec des apprentissages réduits au minimum, c’est à dire un savoir dispensé de questionnement et de construction.

Savoir avant d’avoir appris ; savoir sans se donner le temps d’apprendre ; voilà ce que désirent certains enfants. Toute attente, tout délai imposés par un tâtonnement souvent laborieux les exaspèrent et peuvent les mettre dans une colère souvent rentrée et paralysante. Pour la plupart, ces élèves, nos enfants, brûlent d’envie de savoir qui ils sont. Ils sont prêts à faire beaucoup pour y arriver, excepté une chose : faire l’effort de se construire en toute singularité et en toute solidarité. Savoir, oui ! Apprendre à se construire en partageant avec un autre leurs doutes et leurs inquiétudes, non !Ce « temps de suspension » qui est nécessaire à la construction d’une identité, peut provoquer chez un enfant la dispersion et la déroute. Il le vit comme un vide, comme une faille, parce que le doute et l’incertitude sont pour lui trop douloureux pour pouvoir stimuler l’activité de penser. Au lieu de ressentir l’anxiété légère et normale que provoque naturellement le fait de ne pas savoir encore et qui devrait le pousser à construire son identité, c’est une terrible frustration qui l’envahit quand il faut associer, faire des liens, en un mot… chercher. En d’autres termes, ils voudraient être sortis du tunnel sans avoir pris le temps de le creuser. Piégés dans un univers où le trivial le dispute au superficiel et le prévisible à l’imprécis, ils cheminent sur la voie de la passivité car ils se sont habitués à n’accepter que des réponses évidentes et définitives. C’est dans ces périodes que nos enfants sont infiniment vulnérables. Ils ont en effet à affronter un monde face auquel l’impuissance linguistique et la vulnérabilité intellectuelle se révèlent souvent fatales. Un monde où des discours et des textes de nature totalitaire et sectaire, portés par des réseaux sociaux frelatés, risquent de s’imposer à des esprits faibles et crédules. Ils seront donc convaincus par des arguments de pacotille. Ils se laisseront avoir par des discours qui prétendront leur apporter des réponses simples, immédiates et définitives. Ils se laisseront séduire par tous les stéréotypes qui offrent du monde une vision dichotomique et manichéenne et ils se soumettront docilement aux règles les plus rigides et les plus arbitraires pourvu qu’elles leur donnent l’illusion de transcender leurs doutes et leurs anxiétés archaïques. C’est dans cette quête, parfois douloureuse, que seul le dialogue est fécond, que seul le partage des doutes et des interrogations peut éclairer le chemin vers le discernement.

Si, comme moi, vous pensez que le propre du « petit Homme » c’est ce désir de la découverte, cette curiosité de comprendre, cet appétit du questionnement, cette joie de l’échange, alors, prêtons l’oreille à ces « pourquoi papa, pourquoi maman pourquoi maîtresse ? » que nous adresse un enfant ; comme un appel à regarder et à questionner ensemble le monde et à s’interroger sur lui-même. Négliger cet appel envoyé de l’intelligence d’un enfant à notre intelligence, c’est lui signifier que ses interrogations légitimes ne valent pas cet instant de réflexion partagée. À l’école comme à la maison, nous lui devons ce moment de suspension où l’adulte se distingue de la machine pour lui répondre avec amour comme personne d’autre ne lui répondrait.  En bref, à l’école comme à la maison, parlons et parlons encore, écoutons et écoutons encore, discutons, argumentons, racontons et…. Regardons cet enfant dans les yeux. Apprenons à soutenir son regard qui nous questionne, qui parfois nous jauge et le plus souvent nous supplie de lui assurer qu’il existe justement parce qu’il cherche, qu’il est justement parce qu’il se cherche. Le doute existentiel qui le taraude, c’est la quête dans laquelle il nous prie de l’accompagner qui pourra l’apaiser.  Nous ne sommes pas à ses côtés pour lui révéler une vérité définitive, lui coller une étiquette certifiée conforme, lui imposer nos propres convictions, nous sommes au monde pour éclairer ses choix, pour l’inciter à se poser des questions, à les formuler justement, et non pour lui apporter des réponses dogmatiques.

Alain BENTOLILA

Aimer notre incomplétude

« Cette incomplétude qui maintient l’esprit ouvert est la condition même du mouvement vers le monde et vers autrui. Éduquer, alors, ce n’est pas « compléter », mais accepter de « creuser » ensemble, reconnaître combien l’on a à apprendre, combien l’on dépend de cet enfant... qui dépend de nous [...] »

Initier des processus

« En accord avec un autre principe « le temps est supérieur à l’espace », le Pape suggère d’initier des processus plutôt que de chercher à défendre des positions et des espaces de pouvoir. [...] »