Rencontres interreligieuses

Faire intervenir simultanément des représentants catholiques, juifs et musulmans dans une école catholique nécessite une bonne préparation pour être bien compris, éducatif et avoir un sens spirituel et pas seulement culturel ou médiatique.

Analyser le point de départ

Approcher la diversité des religions nécessite de mesurer l’écart possible entre les convictions des adultes qui préparent la rencontre et la situation spirituelle des jeunes concernés.

  • Quelle est la motivation des adultes ? Ils ne peuvent pas espérer qu’une telle rencontre ne soit reçue par les jeunes que sous l’angle culturel, comme une étude positive de faits religieux. S’agissant de Dieu et du sens de la vie, l’attente des élèves, quelle soit explicite ou non, concerne la foi : à quoi les adultes qu’ils ont devant eux croient-ils ? Ne pas en tenir compte serait comme réduire toute éducation affective à l’étude biologique de la reproduction sexuée !
  • S’agissant de la diversité des religions, la question des jeunes est plus précisément : pourquoi y a-t-il des religions différentes ; ou pourquoi telle religion aurait-elle la vérité. Ces questions nous montrent que les jeunes, et parfois leurs familles, n’abordent pas la diversité religieuse de la même façon qu’un croyant clairement situé dans sa foi.

Il nous faut nous souvenir de cette question et constater que le point crucial est celui de la vérité, que l’on peut au contraire être tenté d’écarter pour éviter toute confrontation houleuse ou stérile. La rencontre devra malgré tout viser la vérité. Il est bon de le faire comprendre dès le départ, et de dire comment.

Les Modalités

Le déroulement de la rencontre n’est pas neutre et doit lui-même traduire la justesse des rapports aux protagonistes et à ce qu’ils représentent.

  • Un vrai dialogue implique le respect de chacun pour ce qu’il est, sans nivellement ou assimilation hâtive. On veillera donc à ne pas mettre toutes les religions sur le même plan, et par exemple à ne pas juxtaposer les intervenants derrière une même tribune, ou à faire se succéder leurs interventions sans introduction ni transition.
  • Si l’objectif n’est pas de juxtaposer les positions de chacun sans permettre la rencontre, il est nécessaire d’organiser les prises de parole entre elles. En tant qu’établissement scolaire catholique, on évitera une neutralité artificielle et incohérente. Il ne s’agit pas de comparer des points de vue tous égaux mais d’apprendre à penser les religions avec ce que nous livre la tradition chrétienne. Il est bon de le faire comprendre au départ : c’est parce qu’il est catholique que l’établissement ne peut pas être indifférent à la foi des autres hommes et qu’il veut dialoguer avec eux. Ce n’est pas en renonçant à sa foi et à son identité catholique qu’il le fait, comme si croire était une mutilation de l’intelligence ou rendait inapte au dialogue avec ceux qui n’ont pas la même foi.
  • Toutes les religions n’ont pas le même rapport avec le catholicisme. Il ne serait donc pas juste de mettre sur le même plan judaïsme et islam. Ce n’est pas manquer de respect à l’islam que de le manifester, c’est prendre en compte l’identité de chacun tel qu’elle est et lui faire justice.
  • Du fait de ces rapports différents entre le judaïsme, l’islam et le christianisme, il est généralement plus fécond de se limiter à une rencontre avec une autre religion — quitte à les répéter avec chacune. Au plan de l’organisation comme sur le fond, cela permet un meilleur dialogue, plus respectueux de l’interlocuteur, et évite comparaisons ou nivellement.
  • Un point essentiel de la préparation est la commande faite aux intervenants. Le plus fructueux n’est pas que chacun se lance dans une apologie de sa religion, un exposé comparatif de son organisation et des attitudes qui en découlent. S’agissant de rencontrer des croyants, c’est de leur acte de foi qu’il est utile qu’ils témoignent, de leur relation à Dieu :
    – Prêcher l’idéal de sa religion est stérile
    – Comparer ne produit que controverse
    – Témoigner de son expérience spirituelle de sa façon de vivre sa condition d’homme enrichit tout le monde.

Sur les risques du comparatisme religieux, voir :
Comparatisme et mise en parallèle des religions

Comment conclure ?

L’authenticité de chacun — le rapport qu’il entretient avec ses propres convictions — est généralement un enseignement à souligner.

La justesse de chacun — le rapport qu’il entretient avec les autres — doit être une invitation pour tous les participants à la rencontre. Deux écueils sont à éviter dans le contexte contemporain ; il est bon de les avoir en tête et parfois de les signaler :

  • Le désir d’unité et de paix entre les hommes qui passerait par la négation de leur différences, jusqu’à la banalisation dans un « Nous sommes tous pareils ». Même bien intentionnée, cette attitude aboutit au mensonge.
  • L’impatience ou la peur qui conduirait à survaloriser toutes les différences et à ne les interpréter qu’en terme d’opposition jusqu’à la violence fatale.

Ces deux attitudes manifestent un manque d’espérance quant au Salut de l’homme. Elles ne sont pas justes. Au contraire, toute l’histoire biblique nous montre que la vie consiste à renoncer au mensonge et à la violence, avec l’aide de Dieu.

Enfin, la vérité, comme rapport au monde, ne doit pas être oubliée. Elle est la plus grande question des jeunes, celle qui peut les faire grandir, ou les scandaliser. En interpellant les adultes sur l’existence des différentes religions et sur leur vérité, ils nous manifestent leur liberté de jugement. Avec Vatican II, la prise en compte de la liberté de l’homme face au sens de sa vie a déplacé la question de la vérité : de l’obligation de croire vers l’obligation de rechercher librement la vérité (Dignitatis humanae, 1-3). Pour l’Église, l’homme est obligé de chercher la vérité de manière libre et responsable. C’est une grande leçon à tirer d’une rencontre interreligieuse.

Mais on ne peut pas se poser la question de la vérité sans expérimenter la tension entre la nécessité d’une vérité unique et la pluralité des convictions. Il faut annoncer ici comment la foi chrétienne consiste à prendre sur soi cette fragilité du vrai, à assumer le risque et les conséquences de cette recherche sans tomber dans la tentation de la violence, du mensonge ou de l’indifférence. Il faut aider les jeunes à tenir dans cette tension, à la suite du Christ qui accepte de livrer sa vie. C’est l’invitation chrétienne à la sainteté.

« La Croix, c’est l’écartèlement de celui qui ne choisit pas un côté ou un autre, parce que s’il est entré en humanité, ce n’est pas pour rejeter une partie de l’humanité. Alors, il est là et il va vers les malades, vers les publicains, vers les pécheurs, vers les prostituées, vers les fous… Il va vers tout le monde. Il se met là et il essaie de tenir les deux bouts… La réconciliation ne peut donc se faire que de manière coûteuse ; elle ne peut se faire simplement. Elle peut aussi entraîner, comme pour Jésus, cet écartèlement entre les inconciliables. Alors, que vais-je choisir ? Eh bien, Jésus ne choisit pas. Il dit « Moi, je vous aime tous et il en meurt. » « Savoir prendre lucidement position sans prendre parti : C’est aussi une forme de crucifixion, parce que ce serait plus facile et moins frustrant, d’une certaine manière, de rentrer dans un camp. »

+ Pierre Claverie, évêque d’Oran

Nous avons une tendance psychologique à vouloir nous ressembler. Que ce ne soit pas au détriment de la vérité, pour ne pas devenir destructeur.

Distinguer l’intérêt de se connaître (qui requiert étude, tête à tête…) et le besoin de dialogue, qui ne peut pas viser le dogme et difficilement la connaissance mutuelle mais plutôt le vivre ensemble, le besoin de s’entendre, l’engagement commun.

© Direction diocésaine de l’Enseignement catholique de Paris • 2007